mardi 22 septembre 2009

Ils étaient trois capitaines...

Ils étaient trois capitaines. Tous trois nés dans la même ville (Langres), sensiblement du même âge, et servant dans le corps prestigieux de l’artillerie de la Garde impériale. Des officiers distingués, dont deux sont issus de l’école polytechnique, et tous embarqués dans l’aventureuse Campagne de Russie.

L’aîné, François Aubert, voit le jour le 24 avril 1778, fils de Jean-Baptiste, avocat, et d’une demoiselle Maillard. Polytechnicien, élève sous-lieutenant à l’école de Metz (19 février 1804), il sert dans l’artillerie à pied de la ligne et se distingue lors du siège de Dantzig, en 1807, année où il est promu capitaine et fait membre de la Légion d’honneur (le 10 mai). En 1808, il passe dans l’artillerie à pied de la Garde, avant d’être blessé à Wagram (1809). Au moment de la Campagne de Russie, il est capitaine-commandant de la 2e compagnie du 4e bataillon. Il est blessé à La Moskowa, promu officier dans l’ordre de la Légion d’honneur (le 23 septembre), chevalier d’Empire en 1813 puis baron, est nommé chef de bataillon dans la Jeune Garde le 27 mars 1813, avant d’être blessé à Bautzen et à Dresde. Durant les Cent-Jours, il est chef d’état-major de l’artillerie à pied de la Garde, corps dont il prend le commandement juste avant la chute de Napoléon. Sous la Restauration, il est inspecteur salpêtre à Paris. Frère du maire de Langres, il se retire dans le domaine de La Motte, commune d’Anrosey, où il meurt le 17 août 1855.

Claude-Etienne Lavilette, né en 1779, membre de la promotion de l’école polytechnique de l’an IX, devient aide de camp du général Lariboisière. Il se fait connaître en 1806 en rédigeant un « Mémoire sur une reconnaissance d’une partie du cours du Danube ». Lieutenant à l’état-major de l’artillerie de la Garde (22 novembre 1807), il est fait membre de la Légion d’honneur en mars 1807 – quoique non recensé par la base Léonore. Capitaine le 13 février 1809, il commande en second, en Russie, la compagnie des ouvriers pontonniers de l’artillerie de la Garde. Titulaire de l’ordre de la Couronne de fer en Italie et de l’ordre du Mérite militaire de Bavière, il est mortellement blessé le 16 novembre 1812 à Krasnoe. Cet officier semble distinct du capitaine du 8e régiment d’artillerie à pied blessé à La Moskowa et cité par Martinien.

Louis-Edouard Maillard de Liscourt est mieux connu, grâce notamment à la notice biographique que lui a consacré Germain Sarrut (« biographie des hommes du jour »). Fils d’officier (et sans doute apparenté au major Aubert), il naît à Langres le 12 janvier 1778. Après des études dans sa famille, puis au collège Louis-le-Grand qu’il rejoint en 1786, il intègre l’école militaire de Pont-à-Mousson, dissoute en 1793. Conscrit de l’an VII, il ne rejoint pas la 22e ou la 101e demi-brigades d’infanterie de ligne, mais le 6e régiment d’artillerie à pied, comme canonnier, le 1er décembre 1798. Au sein de ce corps, il passe successivement fourrier (1801), sergent (1802), sergent-major (1803), enfin lieutenant en second (22 novembre 1804). Au camp de Boulogne puis à la Grande Armée, il remplit les fonctions d’aide de camp du général d’artillerie Faultrier. Passé dans l’artillerie à cheval de la Garde le 1er mai 1806, promu lieutenant en premier le 21 août 1808, le Langrois sert en Espagne, se battant à Burgos, écopant de deux coups de feu à l’attaque de Madrid, le 4 décembre suivant. On le retrouve à Wagram, à Znaïm : à l’issue de la Campagne d’Autriche, il est fait chevalier de la Légion d’honneur (9 juillet 1809) puis promu capitaine en second (17 juillet). Passé dans l’artillerie à pied de la Garde, Maillard prend part à la campagne de Russie, au sein de la 1ère compagnie du 2e bataillon, participant aux batailles ou affaires de Smolensk, La Moskowa (il est blessé à deux reprises), Krasnoe, passant capitaine en premier le 1er octobre 1812. Durant la Campagne de Saxe (Bautzen, Dresde, Leipzig, Hanau), il est fait officier de la Légion d’honneur le 14 septembre 1813 puis nommé major (lieutenant-colonel) à l’état-major de l’artillerie le 28 décembre. Il a 35 ans.
Jusqu’à présent, Maillard de Liscourt n’a pas beaucoup fait parler de lui. C’est durant la Campagne de France qu’il fait son entrée dans l’Histoire, en qualité de commandant, depuis fin janvier 1814, de l’artillerie réunie au Champ-de-Mars, à Paris, à l’occasion d’un épisode passé sous silence par Sarrut mais évoqué par Châteaubriand (« Mémoires d’Outre-Tombe ») et de nombreux historiens. La question posée : le Langrois a-t-il ou non refusé de faire sauter la poudrière de Grenelle, et l’ordre lui en a-t-il été donné ?
Voici la lettre écrite par l’officier durant la Première Restauration au Journal des débats : « J'étais occupé, dans la soirée de l'attaque de Paris, à rassembler (au Champ-de-Mars) les chevaux nécessaires pour l'évacuation de l'artillerie ; je partageais ce soin avec les officiers de la direction générale. A neuf heures du soir environ, un colonel à cheval arrive près de la grille de Saint-Dominique où j'étais alors, et demande à parler au directeur de l'artillerie. Je me présente : Monsieur, me dit-il, le magasin à poudre de Grenelle est-il évacué ? Non, lui répondis-je ; il ne peut même pas l'être, nous n'avons pour cela ni assez de temps, ni assez de chevaux. - Eh bien, il faut le faire sauter sur-le-champ. A ces mots, je pâlis, je me trouble, sans penser que je n'avais pas à m'inquiéter d'un ordre qui ne m'était point donné par écrit, et qui m'était transmis par un officier que je ne connaissais pas. - Hésiteriez-vous, monsieur ? me dit-il. Après un moment de réflexion, je revins à moi, et, craignant qu'il ne transmît à d'autres le même ordre, je lui répondis avec un air calme que j'allais m'en occuper ; il disparut. Maître de ce secret affreux, je ne le confiai à personne. Je ne fis point fermer les portes du magasin de Grenelle, comme on l'a dit ; je laissai continuer l'évacuation commencée dans la journée. J'ajouterai, maintenant, que cet ordre ne peut m'être venu des bureaux de l'artillerie, dont tous les officiers me sont connus ; que je savais déjà que le ministre de la Guerre et le général chef de division de l'artillerie avaient quitté Paris depuis plusieurs heures, et que tous les officiers d'artillerie de la direction générale étaient réunis au Champ-de-Mars, où ils s'occupaient de l'évacuation ordonnée. »
Ce 30 mars 1814, la poudrière de Grenelle n’a donc pas sauté. Elle contenait, selon « Le Conservateur impartial », 240 quintaux de poudre, cinq millions de cartouches, 25 000 charges de canon et 3 000 obus, et quantité de matériaux pour des feux d’artifice. Selon ce journal, en cas d'explosion (cela s'était produit sous la Révolution), « la plus grande partie de la capitale aurait été ensevelie sous ses ruines ».
Evidemment, les royalistes s’en sont donné à cœur joie pour attribuer à Napoléon lui-même la paternité de ce fameux ordre, porté par le général Gérardin, aide de camp. Si l’officier de cavalerie Hippolyte d’Espinchal, qui a connu Maillard et son épouse (une demoiselle de Caze qui figurait dans l’entourage de l’impératrice Joséphine) dans l’Hérault, sous la Restauration, pense que le Langrois a sauvé Paris, nombre de contemporains et d’historiens mettent en doute à la fois la marque impériale, et le rôle de l’artilleur, parfois qualifié d’ « arriviste ».
Durant la Première Restauration, Maillard de Liscourt appartient à la commission chargée de remettre aux Alliés les places fortes de Hollande – il est fait chevalier de Saint-Louis et membre de l’ordre de Sainte-Anne, par l’empereur de Russie Alexandre, à la suite de l’épisode de Grenelle - et, comme d’autres compatriotes (le colonel Denys, le chef de bataillon de Nettancourt), rejoint le roi Louis XIII en fuite à Gand. Au retour des Bourbon, il occupe divers postes de direction d’artillerie (à Sète, à Nantes, à Bordeaux…), prend part à la campagne d’Espagne à l’issue de laquelle il est promu colonel, et retraité en 1830. Il meurt à Paris le 5 décembre 1851 (selon Sylvie Nicolas : « Les derniers maîtres des requêtes de l’Ancien Régime »).

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